CE Arrêt Ulrich du Conseil d’État du 28 juillet 1866

10.2.2 Texte de la décision du Conseil d’État
COURS D’EAU NON NAVIGABLES. — D OMMAGES AUX USINES . — C ONSISTANCE LÉGALE
DE L ’ USINE . — T RAVAUX EXTÉRIEURS NON AUTORISÉS ET CONSTITUANT UN MEILLEUR EM –
PLOI MAIS NON UNE AUGMENTATION DE LA FORCE MOTRICE . — I NDEMNITÉ DE DÉPRÉCIA –
TION . A MÉLIORATIONS POSSIBLES DANS LE MÉCANISME DE L ’ USINE .
Lorsqu’une usine existait antérieurement à 1790, — d’où la conséquence que son établisse-
ment est légal et que son propriétaire se trouve dans les conditions exigées par l’art. 48 delà
loi du 16 septembre 1807 pour obtenir indemnité en cas de chômage causé par des travaux
publics; — que depuis 1790 il n’a rien été changé aux ouvrages régulateurs de la retenue
de l’usine, ni au régime des eaux de la rivière; — mais que, sans accroître la force motrice
dont il pouvait légalement disposer, le propriétaire l’a mieux utilisée au moyen d’additions et
de perfectionnements apportés sans autorisation administrative aux vannes motrices, aux
coursiers et aux roues hydrauliques — doit-on, dans le règlement de l’indemnité, considé-
rer les vannes motrices, les coursiers et les roues hydrauliques comme existant légalement
dans l’état où ils se trouvent au moment du chômage pour travaux publics? — Rés. aff. —
1 re esp.
En est-il ainsi, alors même que, pour mieux utiliser la force motrice, le propriétaire a, sans
autorisation administrative, augmenté le nombre des tournants? — Rés. aff. — 2 e esp.
— (Il est reconnu par le ministre des travaux publics, qu’aucune disposition de loi ou de
règlement n’oblige les usiniers à se pourvoir d’une autorisation, soit pour modifier les vannes
motrices, coursiers et roues hydrauliques, soit même pour augmenter le nombre des roues
de leurs usines.)(1)
— Un propriétaire d’usine auquel est accordée une indemnité de dépréciation pour dimi-
nution de force motrice causée par des travaux publics, est-il fondé à demander qu’il lui
soit tenu compte de l’accroissement de force motrice qu’il aurait pu obtenir ultérieurement
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au moyen d’améliorations à introduire dans le mécanisme de son usine? — Rés. nég. —
(Lorsque tout ou partie de la force motrice d’une usine lui est enlevée par suite de l’exécu-
tion d’un travail public, l’indemnité due au propriétaire doit être calculée d’après le préjudice
qu’il éprouve par la privation de la force motrice dont il faisait usage.) 1 re et 3 e esp. (2).
1 re ESP. (36,644.-28 juillet. Ulrich (Philippe).-MM. Aubernon, rap.- Aucoc, c. du g.; Michaux-
Bellaire, av.)
V U LES REQUÊTES LES REQUÊTES… pour le sieur Philippe Ulrich, propriètaire de l’usine
de Weyersheim, sur la rivière la Zorn… tendant à ce qu’il nous plaise réformer — un arrêté,
du 31 mai 1864, par lequel le cons. de pref. du Bas-Rhin a condamné l’État à lui payer : 1°
une indemnité de 14,844 fr. 79 c. à raison des chômages éprouvés par son usine depuis
le 1 er janv. 1853 jusqu’au 31 déc. 1861; — 2°une indemnité de 32,988 fr. 40 c. à raison
des chômages qu’elle a éprouvés depuis le 31 déc. 1861, et qu’elle éprouvera dans l’avenir,
par suite des prises d’eau établies dans la rivière la Zorn pour l’alimentation du canal de la
Marne au Rhin; — Ce faisant, attendu que ces indemnités seraient insuffisantes, les élever,
la première à la somme de 40,000 francs, et la seconde à la somme de 80,000 francs et
condamner l’Etat aux dépens;
Vu les observ. du Min. des trav. pub. tendant à ce qu’il nous plaise rejeter le pourvoi, attendu
que l’arrêté attaqué aurait fait une juste appréciation des dommages éprouvés par l’usine et
de ceux qu’elle éprouvera dans l’avenir par suite des prises d’eau du canal de la Marne au
Rhin;
Vu les lois du 28 pluv. an 8 et du 10 sept. 1807;
EN CE QUI TOUCHE la consistance légale de l’usine de Wegersheim : — Considérant
qu’il résulte de l’instruction que cette usine existait antérieurement à 1790; que, dès lors,
son établissement est légal et qu’ainsi le sieur Ulrich se trouve dans les conditions exigées
par l’art. 48 de la loi du 16 sept. 1807, pour que les propriétaires d’usine aient droit à une
indemnité; ,
Cons. que, depuis 1790, il n’a rien été changé aux ouvrages régulateurs de la retenue de la-
dite usine, ni au régime des eaux de la rivière la Zorn, et que, sans accroître la force motrice
dont il pouvait légalement disposer, le sieur Ulrich n’a fait que la mieux utiliser au moyen
d’additions et de perfectionnements apportés aux vannes motrices, aux coursiers et aux
roues hydrauliques :”— qu’il est reconnu par notre Min. des trav. pub. qu’aucune disposition
de loi ou de règlement n’oblige les usiniers à se pourvoir d’une autorisation pour modifier les
ouvrages précités; — que, dès lors, c’est à tort que le cons. de préf. a refusé de considé-
rer les vannes motrices, les coursiers et les roues hydrauliques de l’usine de Wegersheim
comme existant légalement dans l’état où ils se trouvaient au moment de l’établissement du
canal de la Marne au Rhin;
En ce qui touche l’indemnité afférente aux chômages éprouvés par l’usine jusqu’au 31 déc.
1861 : — Cons. qu’il résulte de l’instruction qu’il sera fait une juste appréciation du préjudice
que ces chômages ont causé au sieur Ulrich, en fixant l’indemnité qui lui est due à la somme
de 30,333 fr. 24 c, laquelle portera intérêt à son profit, pour 27,140 fr. 66 c. à partir du 16
août 1861, et pour le surplus à partir du 31 déc. 1861;
En ce qui touche l’indemnité de dépréciation évaluée en capital : — Cons. que, lorsque tout
ou partie de la force motrice d’une usine lui est enlevée, par suite de l’exécution d’un tra-
vail public, l’indemnité qui est due au propriétaire de ladite usine doit être calculée d’après le
préjudice qu’il éprouve par la privatiou de la force motrice dont il faisait usage : que, dès lors,
le sieur Philippe Ulrich n’est pas fondé à demander qu’il lui soit tenu compte de l’accrois-
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sement de force motrice qu’il aurait pu obtenir ultérieurement, au moyen d’améliorations à
introduire dans les mécanismes de son usine;
Cons. qu’il résulte de l’instruction qu’il sera fait une juste appréciation, du préjudice que
causeront à l’avenir au sieur Ulrich les prises d’eau du canal de la Marne au Rhin, eu égard
à l’état actuel de la navigation, en fixant l’indemnité de dépréciation qui lui est due, à la
somme de 55,195 fr. 40 c, laquelle portera intérêt à son profit à partir du 31 déc. 1861.
Art. 1 er . L’Etat est condamné à payer au sieur Philippe Ulrich : — 1°à raison des chômages
éprouvés par l’usine de Wegersheim jusqu’au 31 déc. 1861, une indemnité de 30,533 fr. 24
c, laquelle portera intérêt à son profit, pour 27,140 fr. 66 c, à partir du 16 août 1861 et pour
le surplus à partir du 31 déc. 1861; — 2°à raison des chômages que l’usine a éprouvés
depuis le 31 déc. 1861, et de ceux qu’elle éprouvera à l’avenir, eu égard à l’état actuel de
la navigation dans le canal de la Marne au Rhin, une indemnité de dépréciation de 53,193
fr. 40 c. laquelle portera intérêt à partir du 31 déci 1861… (Arrêté réformé en ce qu’il a de
contraire. Rejet du surplus des conclusions du demandeur. Etat condamne aux dépens.)
Même date, arrêt semblable, n°36,691 [Chrétien Ulrich).
10.2.3 Conclusions du rapporteur public
(1 et 2) V. 5 juillet 1855 (p. 496, Beaufrère). Cet arrêt, dont on va trouver le sens dans les
observations du commissaire du gouvernement, a été le point de départ d’une jurisprudence
que viennent compléter les arrêts actuels, jurisprudence qui nous paraît reposer tout à la fois
sur un sentiment d’équité envers les propriétaires d’usine et sur une véritable intelligence
des intérêts de l’Etat. — Pour l’Etat, auquel profile de mille manières l’augmentation de la
richesse publique, le bon emploi des forces motrices est un intérêt de premier ordre, et pour
que les propriétaires d’usines ne reculent pas devant les dépenses sans lesquelles ils ne
peuvent tenir leurs établissements au niveau des perfectionnements industriels, il faut qu’ils
puissent compter sur une équitable réparation des dommages causés à ces établissements
par les travaux publics.
Voici les observations présentées sur ces importantes affaires par M. le commissaire du
gouvernement Aucoc
1
:
Le sieur Ulrich (Chrétien) demande une double indemnité à raison du préjudice
que lui font subir les prises d’eau effectuées par l’Etat dans la Zorn pour l’ali-
mentation du canal de la Marne au Rhin : — indemnité pour les chômages tem-
poraires causés à son usine; — indemnité pour la dépréciation que subira celle
même usine par suite du retour annuel et certain des mêmes chômages.
Avant d’entrer dans le détail des questions de fait que soulève cette affaire nous
devons examiner deux questions de droit qui la dominent.
La première est la question de savoir s’il doit être tenu compte à l’usinier de
la totalité de la force motrice dont il jouissait au moment où les prises d’eau
effectuées par l’Etat sont venues la réduire.
L’usine du sieur Ulrich, située sur la Zorn, rivière qui n’est ni navigable, ni flot-
table, a une origine bien antérieure à 1790; elle a une existence légale incontes-
tée. Mais la force motrice actuelle de l’usine est supérieure à celle dont l’usinier

  1. précautions de lecture : les conclusions sont ici reprises dans leur intégralité pour bien faire ressortir le
    raisonnement du rapporteur en matière de différenciation entre puissance disponible et puissance brute, cela
    ne préjuge en rien de la validité de toutes les affirmations avancées par ailleurs, au regard de l’état du droit de
    l’eau et de l’environnement en 2017.
    88/100
    jouissait en 1790. Ce n’est pas que le volume ni la hauteur de la chute d’eau
    aient été augmentés. Mais la position et la largeur des roues ont été modifiées.
    La vanne motrice est inclinée au lieu d’être verticale; il s’en suit que les roues
    rendent 27 p. 100 au lieu de 15 p. 100. Les changements apportés à la situation
    des roues et de la vanne motrice ayant été opérés sans autorisation de l’admi-
    nistration, le conseil de préfecture a décidé qu’il ne devait pas être tenu compte
    du supplément de force motrice qui résultait de ces changements irréguliers.
    Nous ne dissimulerons pas que cette décision du conseil de préfecture est
    conforme à plusieurs de vos décisions.
    Mais nous vous demandons la permission d’examiner si celle jurisprudence est
    conforme aux principes. Cette liberté, que vous n’avez jamais refusée à nos pré-
    décesseurs, est surtout nécessaire lorsqu’il s’agit de la matière des cours d’eau,
    matière où la jurisprudence a dû si souvent suppléer aux nombreuses lacunes
    de la législation; et les progrès considérables que vous avez faits depuis quinze
    ans dans la voie de l’équité nous imposent la confiance que vous ne refuserez
    pas de faire un nouveau progrès dans le même sens.
    Vous n’avez pas oublié qu’il y a quinze ans, l’administration des travaux publics
    soutenait d’une manière radicale que, dans le cas où elle privait une usine avant
    une existence légale d’une partie de sa force motrice, elle ne devait indemniser
    l’usinier qu’en raison de la valeur de l’usine, telle qu’elle était au moment de sa
    constitution légale, par exemple en 1790 pour les usines situées sur les cours
    d’eau non navigables, et non en raison de la valeur de l’usine au moment où le
    dommage était causé. Elle prétendait ne tenir aucun compte des modifications
    introduits postérieurement sans autorisation, soit dans les ouvrages intérieurs,
    soit dans les ouvrages extérieurs.
    Vous avez fait une première distinction. Vous avez reconnu, en 1851, que si l’usi-
    nier, par la transformation intérieure de l’usine, par l’affectation de son moteur à
    une industrie plus lucrative que l’industrie exercée en 1790, par la simplification
    et l’amélioration du mécanisme intérieur avait augmenté la valeur de son usine,
    il avait droit à être indemnisé en raison de la valeur qu’il avait créée par’ ces
    transformations, sans qu’il y eut à rechercher s’il avait été autorisé à les faire. Il
    vous a paru évident qu’un usinier n’avait pas besoin d’autorisation pour modifier
    les ouvrages intérieurs de son usine qui ne peuvent avoir aucune influence sur
    le cours de l’eau.
    Mais en même temps, vous décidiez qu’il en était autrement lorsque l’usinier avait
    augmenté la valeur de son usine par des changements apportés sans autorisa-
    tion aux ouvrages extérieurs. Et ici vous ne distinguiez pas entre la surélévation
    du barrage qui créait la chute d’eau et la modification des roues qui sont mises en
    mouvement par la chute d’eau. Tout changement aux ouvrages extérieurs vous
    paraissait irrégulier, s’il n’avait pas été autorisé. » Cette jurisprudence, établie
    par d’assez nombreuses décisions, n’est-elle pas trop absolue? nous croyons
    pouvoir l’établir.
    Dans la force motrice’que procurent à une usine ce quon appelle ses ouvrages
    extérieurs, il faut distinguer deux choses : la force motrice brute qui résulte du
    volume, de la hauteur et de la pente de la chute d’eau, et la force utile qui tient à
    l’état du mécanisme extérieur : roues, coursiers, etc. La force utile peut augmen-
    ter par un perfectionnement du mécanisme extérieur sans que la force brute ait
    été modifiée.
    Vous avez déjà reconnu l’exactitude de cette distinction dans deux affaires jugées
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    le 5 juillet 1855 (Beaufrère) et le 29 janvier 1857 (Flusin). A cette époque vous ad-
    mettiez que la clause des règlements d’usine qui dénie tout droit à indemnité en
    cas de privation totale ou partielle de la force motrice était valable pour les usines
    situées sur les cours d’eau non navigables. Et cependant vous n’admettiez pas
    qu’on pût l’opposer à l’usinier pour les modifications apportées aux coursiers, aux
    roues, et qui, sans augmenter la force motrice brute de l’usine, lui avaient permis
    de tirer un meilleur parti de la force qui se trouvait à sa disposition. Toutefois, il
    fallait, d’après ces deux décisions elles-mêmes, que ces modifications eussent
    été autorisées.
    Mais cette autorisation est-elle nécessaire pour toutes les modifications quel-
    conques apportées aux ouvrages extérieurs des usines? Y a-t-il une disposition
    de loi ou de règlement en vigueur qui la prescrive?
    Nous n’en connaissons pas. Les dispositions si fréquemment citées des lois des
    12-20 août 1790 et des 28 septembre-6 octobre 1791 ont chargé l’administration
    de veiller au libre cours des eaux, de diriger les eaux vers un but d’utilité générale
    d’après les principes de l’irrigation et de fixer la hauteur des barrages des usines
    à un niveau tel que la retenue d’eau ne nuise pas aux propriétés riveraines en
    les inondant.
    Il suit de là que nul ne peut établir ou modifier sans l’autorisation de l’administra-
    tion un ouvrage qui aurait une action sur le cours des eaux, qui en arrêterait le
    cours, qui en détournerait une certaine partie. Ainsi un barrage, une prise d’eau
    ne peuvent être établis sans autorisation.
    Mais quand une fois le barrage est autorisé, pourquoi l’administration aurait-elle à
    autoriser les ouvrages qui doivent utiliser la chute d’eau que procure le barrage?
    L’administration n’a pas à fixer la dimension ou la disposition des roues et du
    coursier, pas plus qu’elle n’a à décider que l’usine sera un moulin à farine ou une
    filature. Dans l’un comme dans l’autre cas, il né s’agit plus de créer une chute
    d’eau, il ne s’agit que de l’utiliser. L’usinier doit être libre de faire ce qu’il juge le
    plus avantageux, parce que sa décision ne peut en rien nuire à l’intérêt public
    confié aux soins de l’administration.
    C’est ce que l’administration des ponts et chaussées a reconnu depuis long-
    temps.
    En 1818, une commission d’inspecteurs généraux avait soumis au conseil géné-
    ral des ponts et chaussées, qui l’avait adopté, un projet d’instruction ministérielle
    résumant les traditions suivies en matière de règlement d’usine. Le projet n’a
    pas été converti, à cette époque, en instruction ministérielle; mais il a été auto-
    graphié et distribué aux ingénieurs; il a été reproduit par M. Tarbé de Vauclairs,
    dans son Dictionnaire des travaux publics; il servait de règle à l’administration.
    Or, nous trouvons dans l’art. 35 : « L’ingénieur ne doit pas s’immiscer dans le
    calcul des effets de l’usine projetée, n’étant pas appelé à donner son avis sur les
    qualités bonnes ou mauvaises de cette usine; il ne fixe pas les dimensions de la
    roue motrice, ni celle d’aucune partie du mécanisme ou de l’édifice destiné à le
    recevoir. »
    Ces traditions sont expressément consacrées par l’instruction ministérielle du 23
    octobre 1851 :
    Après avoir posé les règles à suivre pour déterminer le niveau légal de la rete-
    nue et pour l’établissement des ouvrages régulateurs, c’est-à-dire du déversoir
    de superficie et des vannes de décharge, le ministre arrive à ce qui concerne
    les vannes motrices, les coursiers et les roues hydrauliques, et voici comment il
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    s’exprime : « Sur les rivières non navigables ni flottables, hors les cas de partage
    d’eau dans lesquels l’administration peut être appelée à déterminer la situation
    respective des divers intéressés, les dimensions des roues motrices doivent être
    laissées à l’entière disposition des permissionnaires; il n’y a pas lieu non plus
    d’imposer l’établissement de vannes de prises d’eau en tête des dérivations, ni
    de fixer la largeur et la pente des canaux de dérivation, toutes les fois qu’il n’est
    pas reconnu nécessaire, dans » l’intérêt des propriétaires riverains ou par suite
    de quelque disposition locale, de régler l’introduction des eaux dans ces canaux.
    MM. les ingénieurs » n’ont, d’ailleurs, en aucun cas, à régler la chute de l’usine
    ni les dispositions du coursier et de la roue hydraulique. »
    Comment donc pourrait-on reprocher à un usinier d’être en faute, pour n’avoir pas
    demandé l’autorisation de modifier son coursier, sa roue, et même, dans certains
    cas, sa vanne motrice, puisque l’administration pose en règle qu’elle n’a pas à
    s’occuper de la disposition des coursiers et des roues et interdit à ses agents de
    les régler!
    L’administration ne peut avoir deux langages. Elle ne peut pas dire aux usiniers :
    modifiez vos coursiers, vos roues; tirez le parti le plus utile de la force motrice
    mise à votre disposition, je vous laisse complètement libres; et puis, quand vien-
    drait le jour de la liquidation d’une indemnité due à un usinier, changer de thèse
    et dire : Les modifications apportées à vos roues n’ont pas été autorisées, je n’en
    liens pas compte.
    M. le ministre des travaux publics doit donc renoncer à réclamer le bénéfice d’une
    jurisprudence fondée sur un motif dont nous avons démontré et dont il reconnaît
    lui-même l’inexactitude.
    Dans l’espèce, il est établi par les experts que l’usinier n’a pas élevé le niveau de
    la retenue telle qu’elle existait en -1790. Il s’est borné à utiliser la force motrice
    qui était à sa disposition, en modifiant la largeur et la position des roues et en
    inclinant la vanne motrice dont les dimensions n’intéressaient pas l’administra-
    tion, puisque l’usine occupe les deux rives d’un cours d’eau non navigable. Sa
    situation n’est donc pas irrégulière, et il doit lui être tenu compte de la totalité de
    la force motrice dont il dispose.
    Une seconde question de droit est soulevée par le sieur Ulrich. Selon lui les
    bases de l’indemnité ne peuvent pas être les mêmes pour les chômages tempo-
    raires et pour les dépréciations définitives de l’usine.
    Dans le premier cas, c’est la force motrice actuellement utilisée qui doit servir de
    base; mais dans le second cas, il doit être tenu compte à l’usinier de toute la
    force motrice que pouvait donner sa chute si son mécanisme extérieur avait reçu
    tous les perfectionnements possibles.
    Ici nous ne pouvons être d’accord avec le requérant. Nous reconnaissons bien
    qu’il n’avait pas besoin de permission pour faire à sa roue, à son coursier toutes
    les modifications nécessaires afin de les perfectionner.
    Mais c’est une faculté qu’il avait; ce n’est pas un droit acquis. En le privant d’une
    partie de l’eau dont il aurait pu mieux profiter, l’Etat lui enlève une espérance et
    non un bien réalisé. Où s’arrêterait-on, d’ailleurs, dans la voie des possibilités et
    des hypothèses?
    La valeur dont une partie a été enlevée au requérant, c’est la force motrice ac-
    tuelle, ou du moins la force motrice utilisée dans l’usine au moment où l’Etat a
    commencé les prises d’eau : la justice ne permet pas de prendre une autre base
    pour l’indemnité.
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