Le juge administratif et le droit de l’environnement
La préoccupation croissante des pouvoirs publics pour la protection de
l’environnement a entraîné l’adoption d’un important corpus normatif, aux niveaux
nationalet international, dont le juge administratif assure quotidiennement la mise en œuvre et l’interprétation. La jurisprudence administrative a ainsi permis de préciser la
portée des grands principes et des principaux textes du « droit de l’environnement » (I).
Cette exigence transversale de protection de l’environnement s’impose désormais à
l’administration dans de très nombreux domaines d’action, qu’il s’agisse de la lutte
contre lapollution engendrée par les activités industrielles, de la protection de la
faune et des milieux naturels, ou encore de l’aménagement du territoire dans toutes
ses formes (transports,réseaux électriques, grands travaux…). Aussi le juge administratif est‐il conduit à trancher un nombre croissant de litiges, dans les domaines les plus
divers, portant sur des décisions administratives ayant une incidence sur
l’environnement (II).
I. Le juge administratif a précisé la portée des principaux textes régissant la protection
de l’environnement
La protection de l’environnement trouve aujourd’hui sa place à tous les niveaux de la
« hiérarchie des normes ». Elle a fait l’objet d’une consécration constitutionnelle en
2005,avec l’adoption de la Charte de l’environnement (1). Le juge administratif
applique et interprète également de nombreuses autres sources du droit de
l’environnement, qu’il s’agisse de textes internationaux et européens (2),
ou des textes législatifs et réglementaires rassemblés, depuis 2000, au sein du code
de l’environnement (3). La Charte de l’environnement et son « mode d’emploi »
par le juge administratif
Depuis la réforme constitutionnelle du 1 er mars 2005 1 et l’adoption de la Charte de l’environnement, la protection de l’environnement a
fait son entrée dans le « bloc de constitutionnalité » et se trouve ainsi consacrée
au plus haut niveau de la hiérarchie des normes.
Si certains des principes que la Charte édicte étaient déjà en germe dans la
législation environnementale avant 2005, leur constitutionnalisation a eu des
répercussions importantes sur la répartition des compétences entre le
législateur et le pouvoir réglementaire dans ce domaine, ainsi que sur l’office
du juge administratif lui‐même.
Sa jurisprudence a permis de préciser la portée de ces nouveaux principes
constitutionnels.
Par sa décision d’Assemblée Commune d’Annecy (CE, 3 octobre 2010, n° 297931), le
Conseil d’Etat a reconnu que l’ensemble des droits et devoirs définis par cette Charte
ont
une valeur constitutionnelle et s’imposent aux pouvoirs publics et aux
autorités administratives dans leurs domaines de compétence respectifs. Il par
ailleurs apporté des précisions importantes sur les modalités d’application de
certains de ses articles qui sont
régulièrement invoqués dans le cadre des litiges dont il est saisi.
1 Loi constitutionnelle n° 2005‐205 du 1 er mars 2005 relative à la Charte de l’environnement.
‐ Le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé,
garanti par l’article 1 er de la Charte de l’environnement
Cet article proclame que « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré
et respectueux de la santé ».
Le Conseil d’Etat a jugé qu’il découle de ces dispositions qu’il appartient pouvoir
réglementaire de veiller au respect de ce principe lorsqu’il est appelé à préciser les modalités de mise en œuvre d’une loi définissant le cadre de la protection de la
population contre les risques que l’environnement peut faire courir à la santé.
Il incombe alors au juge administratif de vérifier si les mesures réglementaires prises
pour l’application de la loi, dans la mesure où elles ne se borneraient pas à en tirer les
conséquences nécessaires (dans le cas contraire, seule la loi elle‐même,
et non la mesure réglementaire d’application, peut alors utilement être contestée :
cf. infra), n’ont pas elles‐mêmes méconnu ce principe.
Il a par exemple exercé ce contrôle sur les dispositions réglementaires définissant les
mesures à prendre pour protéger la population contre les risques liés à la présence de
poussière d’amiante dans l’air à l’intérieur d’immeubles (CE, 26 février 2014,
Association Ban Asbestos France et autres, n° 351514).
‐ Le « principe de prévention » garanti par l’article 3 de la Charte de l’environnement
Cet article dispose que « toute personne doit, dans les conditions définies par la loi,
prévenir les atteintes qu’elle est susceptible de porter à l’environnement ou, à défaut,
en limiter les conséquences ».
Le Conseil d’Etat s’est prononcé sur la portée de ces dispositions dans une décision
d’Assemblée Fédération nationale de la pêche en France (12 juillet 2013, n° 344522)
qui apporte notamment des précisions sur la répartition des compétences entre loi
et règlement ainsi que sur les limites du contrôle du juge administratif dans ce
domaine. Il a ainsi indiqué
qu’il incombe au législateur et, dans le cadre défini par la loi, au pouvoir réglementaire
et aux autres autorités administratives, de déterminer les modalités de mise en
œuvre de ces dispositions constitutionnelles.
En vertu de l’article 34 de la Constitution et de l’article 3 de la Charte, il appartient au
législateur de déterminer les principes fondamentaux de la préservation de
l’environnement et de définir le cadre de la prévention et de la limitation des
conséquences des atteintes à l’environnement. La conformité de telles dispositions
législatives à l’article 3 de la Charte ne peut être contrôlée que par le juge
constitutionnel. Le juge administratif n’en connaît pas en‐dehors de la procédure de la
question prioritaire de constitutionnalité prévue à l’article 61‐1 de la Constitution.
Le pouvoir réglementaire est, quant à lui, compétent pour mettre en œuvre les
principes définis par la loi. Il n’appartient alors au juge administratif de contrôler la
conformité des dispositions réglementaires d’application à l’article 3 de la Charte que
dans la mesure où elles ne se borneraient pas à tirer les conséquences nécessaires de
la
loi. Lorsque le pouvoir réglementaire s’en tient à appliquer les dispositions législatives,
celles‐ci font « écran » au contrôle de constitutionnalité du juge administratif.
‐ Le « principe de précaution » garanti par l’article 5 de la Charte de l’environnement
Cet article prévoit que « lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en
l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et
irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du
principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de
procédures d’évaluation desrisques et à l’adoption de mesures provisoires et
proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ».
A l’inverse des dispositions de l’article 3, celles de l’article 5 de la Charte n’appellent
pas de dispositions législatives et réglementaires précisant leurs modalités de mise en
œuvre. Elles s’appliquent donc directement aux pouvoirs publics et aux autorités
administratives dans leurs domaines de compétence respectifs, y compris en dehors
du champ du droit de l’environnement (en matière d’urbanisme : CE, 19 juillet
2010,
Association du quartier « Les Hauts de Choiseul », n° 328687). L’entrée en vigueur de la
Charte a ainsi conduit, sur ce point, à élargir le champ d’application du principe, qui
figurait auparavant dans le code rural (art. L. 200‐1, issu de la loi n° 95‐101 du 2
février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement) mais dont
l’application était circonscrite aux décisions intervenant en matière environnementale
(CE, 20 avril 2005,Société Bouygues Télécom, n° 248233).
Le Conseil d’Etat a fait application du principe de précaution à différents types
d’opérations et décisions de l’administration. Ce principe a notamment été invoqué en
matière de grandes opérations de travaux qui font l’objet d’une déclaration d’utilité
publique. Le Conseil d’Etat en a précisé les conditions d’application dans ce domaine
par une
décision d’Assemblée du 12 avril 2013, qui portait sur la construction de deux lignes
à très haute tension (Association coordination interrégionale Stop THT et autres, n° s 342409 et
a.). Il a ainsi jugé qu’il appartient à l’autorité saisie d’une demande tendant à ce qu’un
projetsoit déclaré d’utilité publique de rechercher s’il existe des éléments
circonstanciés de natureà accréditer l’hypothèse d’un risque de dommage grave
et irréversible pour l’environnementou d’atteinte à l’environnement susceptible
de nuire de manière grave à la santé, qui justifierait, en dépit des incertitudes
subsistant quant à sa réalité et à sa portée en l’état des connaissances scientifiques,
l’application du principe de précaution. Si tel est le cas,l’autorité administrative doit
veiller à ce que des procédures d’évaluation du risque soient mises en œuvre. Elle doit
alors vérifier que les mesures de précaution dont l’opération est assortie ne sont ni
insuffisantes, ni excessives, eu égard, d’une part, à la plausibilité et à la
gravité du risque et, d’autre part, à l’intérêt de l’opération.
‐ L’obligation de promouvoir un « développement durable », prévue par l’article 6 de
la Charte de l’environnement.
En vertu de cet article de la Charte, « les politiques publiques doivent promouvoir un
développement durable. A cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur
de l’environnement, le développement économique et le progrès social ».
Le Conseil d’Etat a jugé que ce principe est en particulier invocable, là encore, pour
contester des opérations de travaux faisant l’objet d’une déclaration d’utilité publique.
Lorsque cet article est invoqué, le juge administratif en vérifie le respect à travers le
contrôle dit « du bilan » qu’il exerce traditionnellement sur l’utilité publique du projet
(notammentdepuis la décision de principe CE, Assemblée, 28 mai 1971, « Ville nouvelle Est », n° 78825).
Autrement dit, pour apprécier si l’administration a respecté les dispositions de
l’article 6 de la Charte, il apprécie, dans le cadre de sa jurisprudence classique, si les
atteintes portées à l’environnement ne sont pas excessives eu égard aux bénéfices
attendus du projet ainsi qu’aux précautions qui l’accompagnent (CE, 16 avril 2010,
Association Alcaly et autres, n° s 320667 et a.).
‐ Le « principe de participation du public » garanti par l’article 7 de la Charte de
l’environnement
Cet article dispose que « toute personne a le droit, dans les conditions et limites
définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant
une incidence sur l’environnement ».
Le Conseil d’Etat a jugé qu’en application de ces dispositions, une procédure de
participation du public n’est obligatoire que pour les décisions ayant une incidence
directe et significative sur l’environnement. Certaines décisions relevant du droit de
l’environnement ne nécessitent donc pas une telle procédure. Il en va ainsi, par
exemple, des arrêtéscomplémentaires que l’autorité administrative peut prendre
pour compléter l’autorisation initiale d’exploiter une installation classée pour la
protection de l’environnement (ICPE), qui
n’ont pas une incidence significative sur l’environnement (CE, 17 octobre 2013,
Commune d’Illkirch‐Graffenstaden, n° 370481).
Par ailleurs, comme pour les articles 1, 2 et 6 de la Charte (CE, 19 juin 2006,
Association eau et rivière de Bretagne, n° 282456) et son article 3 (CE, Ass., 12 juillet
2013,
Fédération nationale de la pêche en France, n° 344522), un requérant ne peut invoquer
directement son article 7 lorsque des dispositions législatives en assurent la mise en
œuvre (CE, 12 juin 2013, Fédération des entreprises du recyclage, n° 360702). Un
requérant ne peut donc se prévaloir de l’article 7 de la Charte pour affirmer que le
principe de participation aurait été méconnu dans la mesure où les dispositions de
l’article L. 120‐1 du code de l’environnement ont été prises afin de préciser les
conditions et les limites dans lesquelles le principe de participation du public est
applicable aux décisions réglementaires de l’Etat et de ses établissements publics.
Le juge administratif fait application des sources internationales et européennes du
droit de l’environnement.
Des textes de droit international et européen sont très souvent invoqués devant le
juge administratif dans le cadre de litiges environnementaux. Il lui appartient alors d’en
apprécier la portée et notamment leur « effet direct » en droit interne.
Sans dresser ici une liste exhaustive de ces sources « supra‐nationales », de plus en
plus nombreuses, on pourra notamment citer la convention d’Aarhus du 25 juin 1998
sur l’accès à l’information et la participation du public en matière d’environnement,
entrée en vigueur en 2001, dont le Conseil d’Etat a jugé que certaines de ses
stipulations sont d’effet direct (cf. par exemple CE, 6 juin 2007, Commune de Groslay
et autre, n° 292942 et a.).
De nombreux règlements et directives de l’Union européenne sont également
fréquemment invoqués devant lui. Il en va ainsi, par exemple, de la directive 92/43/CEE du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune
et de la flore sauvages, dite directive « Habitats » (cf. par exemple : juge des référés du
Conseil d’Etat, 9 mai 2006, Fédération transpyrénéenne des éleveurs de montagne et
autres, n°292398).
Le code de l’environnement
Le droit national de l’environnement a longtemps été constitué de nombreux textes
épars (diverses polices spéciales de l’environnement, loi n° 76‐629 du 10 juillet 1976
relativeà la protection de la nature, dispositions du code rural, etc.).
Depuis l’adoption du code de l’environnement en 2000, l’essentiel des dispositions
législatives et réglementaires relevant de cette matière est désormais rassemblé dans un corpus unique. Il s’agit ainsi de l’une des principales références du juge administratif
Le juge administratif et le « droit de l’environnement industriel »
Le juge administratif est fréquemment saisi de litiges le conduisant à mettre en
œuvre des règles, que l’on peut rassembler sous la désignation de « droit de
l’environnement industriel », qui régissent la création, le fonctionnement et la
fermeture des installations susceptibles de porter atteinte à l’environnement.
Les mesures prises par l’administration dans ce domaine relèvent de régimes dits de « police administrative
spéciale » qui ont pour objet de prévenir et sanctionner les atteintes à
l’environnement. Figurent notamment parmi ces régimes celui des « installations classées pour la protection de l’environnement » et celui des installations nucléaires.
‐ Le juge administratif, garant du respect du droit des installations classées pour la
protection de l’environnement
Le régime juridique des installations classées pour la protection de l’environnement
est fixé par les articles L. 511‐1 et suivants du code de l’environnement. Les intérêts
qu’il protège sont très variés et entendus largement puisqu’en vertu de l’article
L. 511‐1, il vise les« usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d’une manière générale, les
installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent
présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l’agriculture, soit pour la
protection de la nature, de l’environnement et des paysages, soit pour l’utilisation rationnelle de l’énergie, soit
pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du
patrimoinearchéologique ».
Ces installations sont soumises à un régime de contrôle administratif plus ou moins stric
Le juge administratif et la protection de la faune et des milieux naturels
De nombreux dispositifs de protection et de gestion des espèces ainsi que de
sauvegarde des milieux naturels ont été instaurés par le législateur et mis en
application parle pouvoir réglementaire. Ils font l’objet d’un contentieux désormais
abondant devant lejuge administratif dont on ne peut dresser qu’un panorama non
exhaustif.
‐ La protection des espèces
En vertu de l’article L. 411‐1 du code de l’environnement, les espèces animales non
domestiques et les espèces végétales non cultivées qui présentent un intérêt
scientifique en particulier ou dont les nécessités de préservation du patrimoine
naturel lecommandent,font l’objet de mesures de protection édictées par le
pouvoir réglementaire.
Le Conseil d’Etat est ainsi conduit à se prononcer sur la légalité de telles mesures, et
notamment sur celle des listes d’espèces protégées (cf. par exemple CE, 27 février
1981,
Syndicat des naturalistes de France et autres, n° 18561 et a.). Il contrôle le caractère
proportionné de ces règles de protection des espèces qui ne peuvent légalement
consisteren une interdiction générale et absolue de modifier le milieu où vivent les
espèces protégéeset doivent au contraire être adaptées aux nécessités que la
protection de certaines espèces impose en certains lieux (CE, 13 juill. 2006,
Fédération nationale des syndicats depropriétaires forestiers sylviculteurs, n° 281812).
Il est également saisi de litiges portant sur les dérogations aux mesures de protection des espèces. Dans ce cadre, il s’assure qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante
que la destruction d’une espèce, qu’une telle mesure ne nuit pas à son maintien
dans un état de conservation favorable et qu’elle est justifiée par l’un des motifs
d’intérêt général prévus parl’article L. 411‐2 du code de l’environnement (CE, 11 février 2015, Collectif des éleveurs de la région des Causses de la Lozère et
leur environnement‐Cercle, n° 370599). Le Conseil d’Etat a
par exemple annulé la délibération d’un conseil municipal prescrivant la destruction
de loups sans restriction (CE, 8 décembre 2000, Commune de Breil‐surRoya, n° 204756).
‐ La gestion des espèces animales
Le juge administratif connaît également du contentieux relatif aux activités de
chasse et de pêche. Il est en effet conduit à se prononcer sur la légalité des arrêtés
fixant lesdates d’ouverture et de clôture de la chasse et de la pêche (CE, 23 décembre 2011),
Association France Nature Environnement et autres, n° 345350 et a. ; CE, Ass., 12
juillet 2013, Fédération nationale de la pêche en France, n° 344522), sur les mesures
d’agrément des associations communales et intercommunales de chasse ainsi que des associations de pêche et de pisciculture (CE, 20 février 1985, M. Z. , n° 20427 ;
CE, Section, 25 avril 1975,
Association des propriétaires riverains du Bassin de la Nive, n° 90542) ou encore sur
les mesures réglementant les droits de chasse et de pêche (CE, 14 sept. 1994,
Communed’Escoutoux, n° 114910 ; CE, 30 sept. 1983, Fédération départementale des associationsagréées de pêche de l’Ain et autres, n° 31875
Il tranche également des litiges portant sur les mesures d’autorisation de destruction
des espèces nuisibles. Le Conseil d’Etat est ainsi conduit à apprécier la légalité des
arrêtés du ministre de l’écologie fixant, dans chaque département, les espèces
classées parmi les nuisibles (CE, 30 juillet 2014, Association pour la protection
des animaux sauvages et autres,n° 363266 et a.) tout comme des mesures de
refus d’inscription de certaines espèces sur ces listes (CE, 16 juillet 2014, Fédération
départementale des chasseurs de la Charente‐Maritimeet autres, n° 363446 et a.).
‐ La protection des milieux naturels
Outre les mesures de protection et de gestion des espèces elles‐mêmes, le juge
administratif est conduit à connaître de celles qui sont destinées à protéger leurs
milieux de vie et notamment de la détermination des espaces à protéger au titre des
divers zonages à
vocation environnementale. Sans dresser une liste exhaustive des différents
dispositifs de
protection de l’environnement, on donnera ici un aperçu des nombreux litiges à
l’occasion desquels le juge administratif met en œuvre et précise la portée de ces
zonages.
Le Conseil d’Etat a par exemple précisé les modalités d’entrée en vigueur du nouveau
régime
juridique des parcs nationaux, issu de la loi n° 2006‐436 du 14 avril 2006 (CE, Section, 23mars 2012, Commune de Hures‐la Prade, n° 337144) ainsi que leurs modalités d’articulations avec le schéma de gestion cynégétique (CE, 29 octobre 2013, Association Les amis
de la radeet des calanques et autres, n° 360085 et a.). De même, il a été conduit à
se
prononcer sur la portée de la charte d’un parc naturel régional (Sect., 8 février 2012,
Union des industries de carrières et matériaux de construction de Rhône‐Alpes, n° 321219) et sur son articulation avec d’autres actes, tels que les documents
d’urbanisme (CE, 29 avril 2009, Commune de Manzat, n° 293896) ou le schéma
départemental des carrières (CE, 25 juin 2014, Union nationale des industries de
carrières et des matériaux de construction, n° 366007).
Dans la même logique, le juge administratif est saisi de litiges portant sur les réserves
naturelles (cf. par exemple CE, 23 juin 2004, Association « Les amis de la Berarde et du HautVernon, n° 208297), sur la trame verte et bleue adoptée en application de l’article L. 371‐1du code de l’environnement (CE, 30 juill. 2014, Fédération départementale des chasseurs du PasdeCalais), sur les zones classées, en application de l’article
L. 414‐1 du code del’environnement, dans le réseau « Natura 2000 » (CE, 26 décembre 2012, Syndicat dessylviculteurs du suouest et autres, n° 340395 et a.) ou encore sur l’application desdispositifs de protection prévus par les lois de protection du littoral (cf. encadré) et de lamontagne.
Le Conseil d’État et la protection du littoral
Le Conseil d’État a fortement contribué à la protection du littoral. Présentation de
certaines de ses décisions les plus emblématiques.
Par un arrêt France nature environnement du 28 juillet 2000 (n° 204024), le Conseil d’État a sanctionné la carence de l’État pour l’absence de décret d’application fixant la
liste des communes riveraines des estuaires. Il a enjoint à l’État, sous
astreinte,d’édicter ce texte réglementaire dans un délai de 6 mois. La loi du 3 janvier 1986 dite « loi littoral » prévoit en effet que sont
notamment considérées comme « communes littorales » celles qui « sont riveraines
des estuaires et des deltas lorsqu’elles sont situées en aval de la limite de salure des eaux et participent aux équilibres économiques et écologiques littoraux ». Or, la loi renvoyait au pouvoir de la loi dans ces
collectivités. Le Conseil d’État a jugé qu’en dépit des difficultés rencontrées par
l’administration dans l’élaboration de ce décret, son abstention à le prendre s’était
prolongée très largement audelà d’undélai raisonnable. Il a donc enjoint à l’État de
prendre le décret nécessaire, ce qui fut fait effectivement.
Le Conseil d’État a également donné toute sa portée à la loi en jugeant, par exemple,
que la règled’inconstructibilité dans la bande des 100 mètres à compter du rivage
s’applique tant aux nouvelles constructions qu’à l’extension des constructions
existantes (CE, 21 mai 2008, Min. des transports c/
Association pour le libre accès aux plages et la défense du littoral, n° 297744).
De même, le juge administratif s’assure, pour les dérogations à cette règle
d’inconstructibilité, de laréalité des « activités exigeant la proximité immédiate de l’eau ». Il en a retenu une définitionrestrictive, qui n’inclut pas les activités touristiques, annulant ainsi des autorisations de construire àproximité immédiate du rivage des centres de thalassothérapie, des établissements de restaurationou encore des hôtels (TA de Rennes, 11 octobre 1989, Sté pour l’étude et la protection de la natureen Bretagne ; CE, 23 juillet 1993, Commune de Plouguerneau, n° 127513).
Enfin, le juge administratif a retenu une conception extensive de la notion « d’espaces
remarquables » (articles L. 146‐1 et suivants du code de l’urbanisme). Il a estimé que l’énumérationdes espaces considérés comme tels par le code (dunes, marais, espaces boisés…) n’était pas limitative, et qu’elle s’appliquait à tout le territoire d’une commune
littorale. Les « espacesremarquables » devant être protégés de l’urbanisation au titrede la loi littoral peuvent ainsi valoir à plusieurs kilomètres du rivage (CE, 25 novembre 1998, Commune de Grimaud, n° 168029).
Le Conseil d’Etat est également conduit à se prononcer sur la façon dont s’articulent
ces différents dispositifs de protection de l’environnement.
Ainsi a‐t‐il jugé, par exemple, qu’un projet de classement de réserve naturelle ne
constitue pas un programme ou projetd’activités, de travaux, d’aménagement
d’ouvrages ou d’installation au sens de l’article L.332‐2 du code de l’environnement
résultant de la transposition de la directive 92/43 CEE du21 mai 1992 dite « Natura 2000 » (CE, 26 novembre 2010, Sté Groupe Pizzorno
Environnement et autres, n° 331078 et a.).
Enfin, certains litiges portent sur les dispositifs normatifs visant à protéger plus
spécifiquement certains types de milieux, notamment l’air (cf. par exemple CE, 26 mars
2008, Association des amis de la Terre Paris, n° 300952 : litige relatif à un arrêté
approuvant un plan de protection de l’atmosphère) et l’eau. Le juge administratif est
notamment conduit à contrôler les autorisations d’installations hydroélectriques
(cf. par exemple CE, 23décembre 2014, Sté hydroélectrique du Pont du Gouffre, n° 361514). La protection de l’environnement, une exigence prise en compte par le juge
administratif dans des contentieux très divers.
La juridiction administrative ne connaît pas seulement des contentieux portant sur
les actes réglementaires mettant en œuvre ces différents dispositifs de protection de
l’environnement. Elle est également conduite à contrôler que certains projets autorisés parl’administration ou certaines mesures qu’elle adopte n’y portent pas atteinte.
Son contrôle des actes pris par l’administration en matière de dissémination des
organismes génétiquement modifiés en fournit un exemple.
Le Conseil d’État et les organismes génétiquement modifiés
Par une décision du 28 novembre 2011, le Conseil d’Etat a annulé l’arrêté du ministre de l’agricultur et de la pêche du 7 février 2008 interdisant la mise en culture des variétés
de semences de maïs génétiquement modifié Zea Mays L. lignée MON 810. Avant de
statuer sur cette affaire, le Conseild’Etat avait saisi, à la demande des requérants, la
Cour de justice de l’Union européenne afin qu’ellestatue sur plusieurs questions d’interprétation des directives et règlements de l’Union européenne applicables en la matière (CJUE, 8 septembre 2011, Monsanto SAS et a., C‐58/10 à C‐68/10).
Appliquant les principes énoncés par cette décision de la Cour de justice de l’Union européenne, leConseil d’Etat a jugé que dès lors que le maïs MON 810 avait été autorisé
en tant que semence à desfins de culture et notifié en tant que produit existant, il ne pouvait, au stade de la demande de renouvellement de son autorisation, faire l’objet
d’une mesure de suspension et d’interdiction que dans le cadre d’une procédure
spécifique d’urgence et à condition que soit établi un risque important
mettant en péril de façon manifeste la santé humaine, la santé animale ou
l’environnement. Enl’espèce, le ministre justifiait la mesure d’interdiction par un avis du comité de préfiguration de lahaute autorisé sur les OGM dressant une liste de questions méritant, selon lui, d’être étudiées et sebornant à faire état « d’interrogations quant aux conséquences environnementales, sanitaires et économiques possibles de la culture et de la commercialisation du MON 810 ».
Le Conseil d’Etat ajugé que, dans ces conditions, les conditions d’interdiction de ces variétés de semence n’étaientpasremplies (CE, 28 novembre 2011, Sté Monsanto SAS et autres, n° 313605 et a.). Une nouvelle décisiona été prise dans le même sens à
propos d’un nouvel arrêté d’interdiction des mêmes semences du 16mars 2012 (CE,
1 er août 2013, Association générale des producteurs de maïs et a., n° 358103).
Le Conseil d’Etat a également eu l’occasion de se prononcer sur les règles édictées par le Gouvernement français, encadrant la dissémination des OGM et la mise sur le
marché de produitsalimentaires en comportant. Tirant les conséquences de l’entrée en vigueur des articles 3 et 7 de laCharte de l’environnement, il a partiellement annulé
deux décrets du 19 mars 2007 au motif que lepouvoir réglementaire n’était pas compétent pour édicter les dispositions relatives d’une part, auxconditions et limites de l’information du public sur la dissémination des OGM, et, d’autre part, conditions de la
prévention des atteintes susceptibles d’être portées à l’environnement (CE, 24 juillet
2009, Comité de recherche et d’information indépendante sur le génie génétique, n° 305314 et a.).
S’agissant de la répartition des compétences entre autorités publiques dans ce domaine, le Conseild’Etat a jugé que la police spéciale de la dissémination volontaire d’OGM avaient été confiée par lelégislateur à l’Etat et que le maire ne pouvait donc s’immiscer dans l’exercice de cette police spécialepar l’édiction d’une réglementation locale. Il a ainsi annulé un arrêté municipal interdisant pour troisans la culture de plantes
génétiquement modifiées en plein champ dans certaines zones de la
commune (CE, 24 septembre 2012, Commune de Valence, n° 342990).
Sa jurisprudence a également permis de préciser la portée de l’obligation d
‘information du public surles lieux de dissémination des OGM. Par une décision du 21 novembre 2007 (Commune de Sausheim,n° 280969), le Conseil d’État a jugé que le lieu où la dissémination est pratiquée ne peut êtreconsidéré comme confidentiel pour la protection des intérêts des demandeurs de dissémination oudes intérêts protégés par la loi. Dès lors, l’autorité administrative qui détient des informationsrelatives à la localisation de la dissémination d’OGM est tenue de communiquer, sans délai et sans
condition, à toute personne qui en fait la demande, l’ensemble des données en sa
possession.
De nombreux projets d’aménagement autorisés par l’administration font également
l’objet d’un contrôle du juge administratif au regard d’exigences environnementales.
C’estainsi qu’après une visite sur place, le Conseil d’État a annulé la déclaration d’utilité publiquede la ligne électrique à haute tension qui devait traverser le site du Verdon au motif « queles atteintes graves portées par le projet à ces zones d’intérêt exceptionnel excèdent l’intérêt
de l’opération et sont donc de nature à lui retirer son caractère d’utilité publique » (CE,
10juillet 2006, Association interdépartementale et intercommunale pour la protection du lac deSte Croix, des lacs et sites du Verdon et autres, n° 288108). De même, la
déclaration d’utilité publique du barrage de la Trézence (Charente‐Maritime) a été annulée compte tenu de son coût et des atteintes à l’environnement,
notamment aux espèces aquatiques, qu’impliquaitce projet (CE, 22 octobre 2003, Association « SOS‐rivières et environnement » et autres, n°231953).
Enfin, le principe de précaution est également susceptible d’être appliqué à de
domaines d’intervention de l’administration. C’est ainsi que le Conseil d’Etat a jugé que ceprincipe est invocable à l’encontre d’une décision d’implantation d’antennes relais de
téléphonie mobile, au motif que les champs radioélectriques émis seraient
susceptibles deporter atteinte à la santé humaine (CE, 8 octobre 2012, Commune de Lunel, n° 342423), del’acte par lequel l’administration réglemente la navigation et les activités sportives ettouristiques sur un cours d’eau, un lac, une retenue ou un étang d’eau douce (CE, 3 juin2013, Association interdépartementale et intercommunale pour la
protection du lac de
Sainte Croix, de son environnement, des lacs, sites et villages du Verdon, n° 334251)
ou encore des dispositions réglementaires relatives à la protection de la population
contre les risques liés à la présence de poussière d’amiante dans les immeubles
(CE, 26 février 2014, Association Ban Asbestos France et autres, n° 351514).
Pour aller plus loin :
‐ Cycle de conférences du Conseil d’Etat : « Les enjeux juridiques de l’environnement »
(2012‐2013)
‐ Cycle de conférences du Conseil d’Etat : « La démocratie environnementale » (2011)
‐ Rapport public du Conseil d’Etat sur L’eau et son droit (2010)