Garantie Décennale

Par le Cabinet Landot

N°1600832 COMMUNAUTE DE COMMUNES D. Rapporteure : Mme Dorothée Merri Audience du 6 dec. 2018 Conclusions Ph CHACOT Faits : La commune de S., en Haute Loire, a lancé en juillet 2005 un appel d’offre en vue de la construction d’une halle d’exposition à vocation agricole de 1500 m2 , comportant un bâtiment accolé avec un « ring de présentation » d’une contenance de 200 à 250 places assises sur gradins, salle pouvant servir aux associations de la commune pour des spectacles ou manifestations culturelles. Par un acte d’engagement du 28 novembre 2015, la commune de S. a confié la maîtrise d’œuvre des travaux tendant à la construction d’un hall d’exposition à M. J. F., architecte. Le lot n° 13 « chauffage » a été confié à la Sarl B. en mars 2017 (cf. pièce 12 : acte d’engagement du 8 mars 2007). Les travaux ont été réceptionnés sans réserve le 26 juin 2008. Signalons qu’en cours de route le projet a été transféré par la commune de S. à la communauté de communes D. (délibération du conseil municipal de S. du 30 mars 2006). La communauté de communes a constaté, par la suite, qu’il était impossible d’utiliser la salle annexe en période hivernale pour des spectacles ou activités culturelles en raison de la température régnant dans le bâtiment « ring agricole ». Une expertise a été ordonnée le 26 juin 2012 et l’expert n’a rendu son rapport que le 16 mars 2016. L’expertise est d’une assez piètre qualité, eu égard à son coût et au temps qui y a été consacré. L’expert se contente de noter que les désordres constatés, à partir de l’hiver 2009, consistent en une insuffisance de chauffage dans la salle annexe du ring agricole en constatant un écart de température de 4° (ou 2)° entre le bas et le haut de la salle. Il ne donne pas son avis sur la question de savoir si ces désordres rendent l’ouvrage impropre à sa destination. Il en conclut que le dysfonctionnement du chauffage est dû à des négligences et mauvaises prestations de l’entreprise B., mais que le BET F. n’a pas été suffisamment rigoureux. Il estime le coût des travaux de reprise à 13.000 euros HT qu’il répartit à 15% pour le BET F. et 85% pour la Sarl B. La communauté de communes D. vous demande d’engager la responsabilité décennale de Sarl B. le BET F. et de les condamner au versement d’une somme de 13.000 euros hors taxe, correspondant au coût des travaux de reprise des désordres. xxx 1) responsabilité décennale des constructeurs : La communauté de communes D. recherche la responsabilité décennale de la Sarl B. et du BET F. N° 1600832 2 Reprenant à son compte les conclusions de l’expert, elle soutient que : – les désordres thermiques liés à l’insuffisance du système de chauffage rendent le bâtiment impropre à sa destination et engagent in solidum la responsabilité décennale de la Sarl B. et du BET F. ; – au terme du rapport d’expertise, il a été constaté un écart de température, de l’ordre de deux à trois degrés entre le haut et le bas des gradins, un mauvais balayage de l’air dans le bâtiment, ainsi qu’une procédure de montée en température inadaptée. Elle insiste tout particulièrement dans ses écritures et notamment dans ses mémoires ampliatifs, sur l’usage polyvalent du bâtiment, qui consiste en un hall d’exposition type « ring agricole » et en une salle dédiée aux activités culturelles et sportives. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d’épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l’ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s’ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l’expiration du délai de dix ans, dès lors que les désordres leur sont imputables, même partiellement et sauf à ce que soit établie la faute du maître d’ouvrage ou l’existence d’un cas de force majeure.  Réception En 1er lieu il résulte de l’instruction que, la réception des travaux réalisés par la Sarl B. et le BET F. est intervenue, sans réserve, le 26 juin 2008. Dans ces conditions la responsabilité décennale des constructeurs que sont les deux défendeurs, peut être engagée les désordres ayant été constatés dans le délai de dix ans.  Désordres non apparents Par ailleurs, il n’est pas contesté que les désordres n’étaient pas apparents au moment de la réception qui est intervenue en période estivale. Ils n’ont été constatés, selon l’expert, qu’au cours de l’hiver 2009. (p 14 de son rapport) Nous ne pouvons ici que regretter que les désordres n’aient pas été constatés plus tôt dès l’hiver 2008 ce qui aurait ainsi permis au maître d’ouvrage d’engager la responsabilité de parfait achèvement. En tout état de cause les désordres n’étant pas apparents au moment de la réception, la seconde condition de l’engagement de la responsabilité décennale apparait remplie.  Nature des désordres La question principale de ce dossier est liée à la nature des désordres constatés et à la question de savoir s’ils rendent l’ouvrage impropre à sa destination. Selon le rapport d’expertise, le désordre affectant le bâtiment annexe comportant le ring agricole trouverait son origine dans l’insuffisance du système de chauffage du bâtiment, en ce qui concerne notamment son manque de puissance et le caractère inadapté de la procédure de montée en température. Ce désordre thermique se manifeste par l’impossibilité d’atteindre une température de confort de l’ordre de 19 degrés dans l’ensemble du bâtiment, et notamment par un écart de température de l’ordre de deux degrés entre le haut et le bas des gradins. o Importance des désordres N° 1600832 3 Vous auriez tout d’abord pu vous interroger sur l’importance des désordres, bien qu’aucun des défendeurs n’y fasse allusion. En effet alors que le montant du marché initial était de 882.000 euros, le coût de réparation des désordres constatés concernant le lot 13 chauffage n’est que de 13.000 euros HT (soit 1,47% du montant total) Toutefois, il a été jugé que le faible coût des réparations d’un désordre ne constitue pas un critère de l’appréciation de son caractère décennal ; CE 7 nov. 1980 Sté Smac Ruberoid n° 14288 o Caractère non permanent Vous auriez pu également vous interroger sur le caractère temporaire du désordre constaté, qui en réalité ne concerne que la période hivernale soit quelques mois de l’année. Là encore ce point a été jugé. La responsabilité décennale n’est en effet pas conditionnée par le caractère général et permanent du désordre CE 9 dec 2011 commune de Mouans Sartoux n° 346189 B o Impropriété par rapport à la destination Toute la question de cette affaire porte sur le fait de savoir si le désordre rend l’ouvrage impropre à sa destination, ainsi que le soulignent avec raison selon nous deux des défendeurs : le BET F. et la Société B. L’impropriété à la destination s’apprécie en fonction de la nature du désordre, de l’affectation normale de l’ouvrage et des conditions dans lesquelles il est utilisé. C’est donc au regard de la destination initiale de l’ouvrage que l’impropriété doit être appréciée. L’expert dans son rapport met en évidence en page 7 que le programme du projet de construction envisagé par la commune de S. prévoyait la réalisation : d’une part : « d’un bâtiment d’une surface d’environ 1500 m2 qui pourra recevoir des manifestations agricoles (type concours d’animaux, journées présentation de l’élevage et des produits du terroir ; le marché hebdomadaire des veaux ; mais aussi des spectacles, des congrès ou assemblées générales de différentes associations ; et d’autre part : « d’un second bâtiment d’une contenance de 200 à 250 places assises (plutôt type gradins) qui serait utilisé pour la présentation des animaux lors des concours agricoles mais qui pourrait aussi servir aux associations de la commune de S. (ex : association théâtrale ou autres manifestations culturelles voire sportive) L’expert indique que : « Ce programme succinct met en avant essentiellement l’aspect des manifestations agricoles avec les exigences qui y sont rattachées. (…) Dans ce programme, il apparaît donc clairement que la destination première de ce projet est à vocation agricole (…) L’activité culturelle mentionnée apparaît de manière subsidiaire. » La collectivité requérante ne vous produit pas les pièces contractuelles. Si vous avez le programme du projet auquel se réfère l’expert, vous n’avez pas le marché lui-même et notamment l’acte d’engagement concernant le lot n°13 chauffage. Le moins que l’on puise dire c’est que le projet de la commune de S. était des plus « baroque ». Ce qui est certain de notre point de vue, et nous rejoignons l’analyse de la Sté B., c’est que la destination principale et certaine de la halle de 1500 m2 était de pouvoir organiser des manifestations agricoles : concours d’animaux, marché hebdomadaire des veaux. Il résulte de l’instruction que ce bâtiment principal n’est pas chauffé et n’a jamais prévu de l’être. N° 1600832 4 La destination du bâtiment annexe, qui est un ring agricole, pour la présentation des animaux est, en revanche, des plus floue et incertaine. Il est en effet indiqué que le « second bâtiment d’une contenance de 200 à 250 places assises (plutôt type gradins) qui serait utilisé pour la présentation des animaux lors des concours agricoles mais qui pourrait aussi servir aux associations de la commune de S. » L’utilisation du conditionnel (pourrait) ne permet pas de considérer qu’il s’agit là d’une destination certaine. Aussi, dès le stade de la conception de l’ouvrage, la commune de S. n’a pas clairement défini la destination de ce bâtiment annexe dénommé ring agricole. Si l’on entend construire un ring agricole pour la présentation des animaux, ce bâtiment est soumis comme l’indique les défendeurs à des normes sanitaires liées à la présence des animaux et il ne peut évidemment pas être chauffé de la même façon que s’il est destiné à n’accueillir que des humains. L’expert vous indique d’ailleurs que la solution technique de l’air pulsé retenue pour le ring agricole était la bonne. En revanche, l’utilisation principale de ring agricole nous semble totalement incompatible avec une destination secondaire ou accessoire en salle de spectacles pour faire des projections de films ou présentation de pièces de théâtre. Il fallait alors prévoir de réaliser une salle polyvalente à côté des installations agricoles. Par ailleurs nous estimons que la destination qui était déjà plus qu’incertaine au départ a été modifiée par le maître d’ouvrage en cours de réalisation des travaux, le ring agricole initial se transformant désormais en une salle de spectacle à part entière, avec parquet en bois et fauteuil de salle de cinéma (les photos produites en défense sont éloquentes et confirment le changement de destination) Nous vous rappelons que le projet initial défini par la commune de S. a été transféré à la communauté de commune D. en 2006. C’est sans doute la raison du changement de destination du local qui était initialement prévu comme ring agricole avec un sol béton, des gradins en béton et une installation de chauffage compatible avec la présentation des animaux. Il ne résulte pas de l’instruction qu’un avenant au marché ait été passé pour modifier la destination du bâtiment annexe pour en faire une salle de spectacle. Aussi si le mode de chauffage initialement prévu pour le ring agricole n’apparait pas suffisant pour une salle de spectacle il appartient à la communauté de communes, qui a décidé une modification de la destination de l’ouvrage, d’en supporter le coût. Ces travaux ne relèvent en aucun cas de la responsabilité décennale des constructeurs, au vu des pièces contractuelles du marché. CAA Lyon 10 fev. 2000 Opac de l’Isère 95LY00023 Vous devrez donc juger que les désordres constatés ne rendent pas l’ouvrage, tel qu’il était conçu initialement, impropre à sa destination initiale et principale, les reproches invoqués par la communauté de communes étant liés à un changement de destination de l’ouvrage. 2) Appels en garantie Plusieurs défendeurs ont présenté des conclusions afin d’être garantis des condamnations prononcés contre eux. N° 1600832 5 Si vous nous suivez et si vous ne retenez pas la responsabilité décennale des constructeurs et ne prononcez aucune condamnation, alors les conclusions des défendeurs au titre des appels en garantie pourront être rejetées par voie de conséquence. 3) Frais irrépétibles Compte tenu de la solution de rejet proposée, les conclusions de la communauté de communes au titre des frais irrépétibles seront rejetées. Elle sera en revanche condamnée à indemniser les défendeurs qui ont pris des avocats. Par ces motifs nous concluons : au rejet de la requête ; et au rejet des conclusions d’appel en garantie présentées par la société B. et au BET F. A la condamnation de la communauté de communes D. à payer à la société B. et au BET F. une somme de 1000 euros chacun au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; et au rejet du surplus des conclusions des parties.

A la condamnation de la communauté de communes D. à payer à la société B. et au BET F. une somme de 1000 euros chacun au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; et au rejet du surplus des conclusions des parties.

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