La ministre de l’écologie avoue sa “perplexité” face à des destructions de moulins centenaires pour la continuité des rivières
Le sénateur Jean-Claude Tissot a saisi la ministre Elisabeth Borne
sur l’intérêt des moulins, fournissant de l’électricité décarbonée à des
milliers de foyers dans son département, et le parlementaire s’est
étonné des barrières trop souvent opposées par l’administration à leur
relance. Dans le débat qui a suivi, la ministre de la transition
écologique et solidaire a bien essayé de défendre la “restauration des continuités écologiques“,
mais elle a dû confesser sa perplexité face à certains chantiers. Et
pour cause, seule une dérive d’une fraction de l’administration et des
syndicats de bassin a pu faire de ce sujet des moulins, étangs et plans
d’eau un problème écologique, à l’heure où les bassins versants
affrontent depuis plusieurs décennies des perturbations d’une toute
autre ampleur: changement hydro-climatique, pollutions chimiques et
sédimentaires, artificialisation des sols et berges, destructions des
zones humides, prélèvements croissants en eau, espèces et pathogènes
exotiques. Remettons les pieds sur terre, et remettons surtout les
ouvrages hydrauliques au service d’une gestion écologique des rivières.
En cours de discussion sur la programmation pluri-annuelle de l’énergie,
le sénateur Jean-Claude Tissot (Loire) a saisi en ces termes
l’attention d’Elisabeth Borne, ministre de la transition écologique et
solidaire :
“Je vais vous parler d’hydroélectricité, plus particulièrement des microcentrales.Récemment, j’ai eu l’occasion de visiter un moulin sur mon département, qui produit de l’électricité. A lui seul, il produit plus de 320 000 kilowattheures d’électricité par an. Sur mon département, les 14 moulins producteurs d’électricité en fournissent pour 2800 foyers.Malgré cette production conséquente d’énergie renouvelable, les propriétaires sont confrontés à une administration particulièrement réticente à tout nouveau projet. Les seuils des moulins ont la mauvaise réputation de détruire la continuité écologique, en empêchant le passage des poissons et des sédiments. Les faits observés sur le terrain démontrent l’exacte inverse, les retenues des seuils ont permis de conserver l’eau durant différentes sécheresses et de pérenniser la vie aquatique même en période d’étiage.Les gaz à effet de serre sont les véritables responsables de l’asséchement des cours d’eau. Donc empêcher le développement des microcentrales hydroélectriques, c’est lutter contre une des solutions productrices d’énergie renouvelable.Ma question est très directe : Est-ce que vous prévoyez de faire une place pour cesmicrocentrales, qui pourraient à elles seules fournir une part de l’électricité dont nos concitoyens ont besoin ?”
Deux autres sénateurs avaient soulevé des points similaires, Évelyne Renaud-Garabedian et Alain Duran.
La question était claire, la réponse de la ministre le fut moins, comme on peut le voir dans ce film de séance (vers 18:57:20).
“On n’a pas un potentiel de petite hydraulique très important…“,
commence la ministre, vite interrompue par les sénateurs qui demandent
s’il faut empêcher les relances de moulins formant ce potentiel.
“Non, répond la ministre, dans le respect de la DCE et des objectifs des continuités écologiques…”
ce qui soulève immédiatement une bronca, car les élus des territoires
que sont les sénateurs connaissent les innombrables problèmes nés de la
politique de continuité écologique, notamment l’acharnement à détruire
des sites contre l’avis des riverains.
Ce qui pousse ensuite la ministre à cet aveu :
“j’ai pu constater dans des vies antérieures, notamment en tant que
préfète, que cette question de l’arasement des seuils y compris certains
qui peuvent exister depuis des centaines d’années, peut laisser
perplexe (…)
Une nouvelle interruption accueille cet euphémisme, et la ministre poursuit :
“Honnêtement, je partage la perplexité qu’on peut avoir quand on dit
qu’il faut restaurer une continuité écologique dont on se dit qu’elle
n’existe plus depuis quelques siècles, cela mérite d’être regardé avec
pragmatisme.”
La ministre confirme ensuite aux sénateurs qu’il y a des objectifs de
soutien de l’Etat à la petite hydro-électricité dans la PPE.
La ministre de la transition écologique et solidaire ayant travaillé au cabinet de Ségolène Royal quand celle-ci avait demandé aux préfets un moratoire sur les destructions d’ouvrage (2015),
elle n’est pas sans savoir que ces polémiques et conflits autour de la
continuité écologique durent depuis dix ans. Et qu’il faut maintenant y
mettre un terme.
Une fraction de l’administration et des établissements de gestion de
rivière a cru pouvoir aller au-delà des lois françaises et européennes
en exerçant des pressions systématiques pour détruire des seuils et barrages autorisés, au lieu de proposer les solutions de gestion, équipement et entretien demandées par les parlementaires.
Ce fut un échec dans beaucoup de cas : il est donc temps d’engager des
options plus douces, plus proportionnées et plus consensuelles de
continuité en long au droit des seuls ouvrages posant problème. Et
aussi, comme le demande le sénateur Tissot, de mobiliser les moulins au
service de la transition énergétique, de la préservation de l’eau, de la
création de zones refuges pour le vivant aquatique et rivulaire.
Rappel aux associations : seule la mobilisation a bloqué la
continuité destructrice, seule la mobilisation garantira une véritable
continuité apaisée, qui est loin d’être claire à ce jour dans l’esprit
de certains fonctionnaires en charge de l’eau et de la biodiversité.
Dans tous les cas où un service administratif (DDT-M, agence de l’eau,
Office français pour la biodiversité) ou un établissement GEMAPI
(syndicat de rivière, parc, intercommunalité) exerce une pression indue
en vue de détruire un ouvrage hydraulique ou d’empêcher son équipement
énergétique bas-carbone, vous devez en informer les parlementaires de la
circonscription et le préfet. En cas de persistance du trouble, saisir
le juge administratif (nous contacter). Les excès de certaines postures
militantes allant très au-delà des contenus de la loi doivent désormais
être constatés, et leurs auteurs rappelés à plus de discernement.